dimanche 28 février 2010

La première et la dernière légion - Deniers de Septime Sévère (Rome, 193)

Il arrive que des émissions monétaires regroupent un certain nombre de types très proches les uns des autres (variations de légende par exemple) autour d'un thème commun. Ces "séries" forcément finies car les composantes sont en nombre limité sont des sujets de collection prisés. On peut citer pour le monnayage romain la série du Millénaire de Rome avec des animaux au revers sous Philippe ou la série des Divi sous Dèce. Les légions ont souvent fait l'objet de série par les émetteurs comme Marc Antoine ou Gallien afin de célébrer chaque légion par une monnaie.
Ces deux deniers font partie de la première série monétaire de Septime Sévère en 193, on peut citer une autre série célèbre avec des portraits de la famille impériale au revers: les deniers dynastiques de 201.
Le premier denier présenté aujourd'hui est en l'honneur de la légion I Adiutrix basée à Brigetio en Pannonie supérieure (de nos jours Szöny en Hongrie) et le deuxième est en hommage à la légion XXX Vlpia Victrix cantonnée à Castra Vetera en Germanie inférieure (aujourd'hui Xanten-Birten en Allemagne).


n°S88



n°S90

Dénomination: Denier

Empereur: Septime Sévère

Avers: IMP CAE L SEP - SEV PERT AVG -  Tête laurée à droite.

Revers: LEG - .I. A-D-IVT // TR P COS (S88) - [LEG XXX] V-LP // TR P COS (S90) - Aigle légionnaire entre deux enseignes militaires.

Atelier (année de frappe): Rome (193)

Références: S88: RSC 256 (120£) - RIC 2 (S) - BMC W7 - Hill 20 (R4) - BnF 6355; S90: RSC 278 (120£) - RIC 17 (S) - BMC W25 - Hill 34 (R4) - BnF 6371

Caractéristiques: S88: Argent, 18mm, 2.2g, 1h ; S90: Argent, 17mm, 3g, 5h.

Note: Ces monnaies étaient cotées 10fr or à la fin du XIXème siècle par H. Cohen.

Commentaire:

Au moment de la prise de pouvoir par Septime Sévère en 193, l'armée romaine est divisée en 30 légions. L'empereur africain en rajoutera trois en 196 pour la campagne parthique : les I, II et III Parthica.
Une légion, regroupée autour d'une aigle (visible au revers de nos monnaies), est composée d'environ 5000 hommes qui sont pour la plupart des fantassins lourds auxquels s'ajoutent à peu près 120 cavaliers.


L'aigle légionnaire

Comme pour les régiments d'aujourd'hui la numérotation est héritée de l'histoire au gré des créations et dissolutions d'unités. Ainsi tous les numéros entre la légion I et la légion XXX n'existent pas en 193, il y a donc des numéros redondants. Il existe par exemple trois légions I qui se distinguent par un nom différent: Adivtrix, Italica et Minerva. De même, un nom peut être partagé par plusieurs légions de numéros différents comme les légions II, III et VIII Avgvsta.

La légion I Adiutrix avait été commandée quelques années auparavant  par Pertinax qui était un général apprécié de ses hommes. Le "coup d'état" de Septime Sévère face à Didius Julianus a certainement été vu par les hommes de cette légion comme une opportunité de venger leur ancien général. Le nom de cette légion signifie "supplémentaire", car elle est avait été certainement complétée par Galba en 68 à partir de la légion I Classis formée avec des marins de la flotte de Misène (Classis Misenensis). Son emblème est le capricorne que l'on distingue au centre de chaque enseigne.

Les capricornes sur les enseignes 



Un capricorne chevauché par un Amour sur une mosaïque du Museo Nazionale Romano, Palazzo Massimo - Rome

La légion XXX Vlpia Victrix porte le numéro le plus élevé pour une légion. Elle a été levée en 100 par Trajan au moment des guerres daciques. Son nom signifie la "trentième légion ulpienne victorieuse" en reférence au grand emprereur-soldat Trajan de son vrai nom Marcvs Vlpivs Traianvs. Les emblèmes de cette légion sont Neptune et Jupiter ainsi que le capricorne qui n'apparait cependant pas sur les enseignes au revers de la monnaie. Une inscription trouvée récemment sur une pierre tombale à Ancyra (Ankara) et datée de 195, nous révèle des renseignements fort utiles au sujet de l'histoire de cette légion, en particulier sa présence en Asie Mineure au cours des campagnes orientales de Septime Sévère. Elle constitue aussi le document le plus ancien mentionnant son titre honorifique de Pia Fidelis (pieuse et loyale) qui rappelle son engagement auprès de Sévère lors de sa prise de pouvoir et les guerres civiles qui ont suivi.

samedi 6 février 2010

Pileus et vindicta: les attributs de la Liberté - Denier de Caracalla (Rome, 209)

La déesse au revers de ce denier est Libertas. Elle a été très utilisée sous la République et représentée sous deux formes: une femme tête nue, image de la Liberté romaine et une femme avec un voile et un diadème. Dans ce cas, il s'agit alors de la déesse Libertas dont le temple était sur l'Aventin à côté de celui de Iuno Regina. Sous l'Empire, comme généralement avec les divinités ou les allégories, Libertas est en pied au revers des monnaies, seuls les empereurs ou les membres de leur famille ayant droit à un portrait. On peut remarquer que ce type est souvent frappé conjointement avec Liberalitas, ce qui est le cas pour cette 29ème émission du règne conjoint de Septime Sévère et Caracalla. Il s'agit ici de la sixième libéralité. Libertas a particulièrement été utilisée par Galba, ce qui n'est pas surprenant car après le règne de Néron le peuple croyait que la République allait être restaurée: d'après le témoignage de Suétone, les Romains couraient dans les rues coiffés du bonnet de la Liberté. Nous allons revenir sur ses attributs.


n° C12

Dénomination: Denier

Empereur: Caracalla

Avers: ANTONINVS - PIVS AVG - Tête laurée à droite.

Revers: LIBER-TAS AVG - La Liberté debout à gauche, tenant un bonnet (pileus) et un sceptre (vindicta).

Atelier (année de frappe): Rome (209)

Références: RSC 143 (25£) - RIC 161 (C) - BMC S511-2 - Hill 1027 (S) - BnF 6743-6

Caractéristiques: Argent, 18mm, 2.72g, 12h.

Commentaire:

Les attributs portés par la déesse évoquent la liberté des esclaves au moment de leur affranchissement (manumissio). Elle tient en effet dans la main droite le pileus, le bonnet de laine des esclaves affranchis. Ce symbole très fort orne le revers d'une des monnaies romaines les plus célèbres: celle de Brutus commémorant la "libération" qu'a été l'assassinat de César. Le bonnet est entouré de deux poignards et à l'exergue l'inscription EID MAR rappelle la date de cet événement: les ides de mars. On le trouve aussi sur un quadrans, la plus petite dénomination du système monétaire d'Auguste, frappé par Caligula afin de célébrer la réduction d'un impôt particulièrement impopulaire.


De la main gauche Libertas tient la vindicta, une baguette servant lors de la cérémonie d'affranchissement. Cela se passait devant un magistrat qui demandait au maître les raisons qui le poussait à libérer son esclave. Pendant que le maître tenait son esclave, le licteur du magistrat plaçait la baguette sur la tête de l'esclave tout en prononçant les formules d'usage. Ainsi le droit romain envisage la possibilité d'une ascension sociale même pour ceux qui ne sont considérés que comme des objets. Cependant, l'affranchi (libertus) a des obligations envers son ancien maître qui devient son patron, ses enfants par contre en seront exemptés. Les affranchis exercent aussi bien des activités d'esclaves (professeur, médecin, acteur) que d'hommes libres (commerçant, artisan, banquier). Quelques-uns deviennent très riches et acquièrent un pouvoir important.
On lira avec intérêt l'article en deux parties de F. Da Silva dans "Numismatique et Change" de décembre 2004 et janvier 2005, repris ici: La Liberté sur les monnaies romaines.

lundi 1 février 2010

Un caducée sur un denier de Géta (Rome,204)

Felicitas est le seul type de revers (solitaire ou en compagnie de Géta) présent sur les premières frappes des monnaies du jeune César en 198. Cette personnification l'accompagne alors tout le long de son règne et est encore présente la dernière année peu avant son assassinat par son frère. C'est certainement le type le plus utilisé par le fils cadet de Septime Sévère avec de nombreuses légendes comme FELICITAS TEMPOR ou PVBLICA. Ici il s'agit de la Félicité des Augustes, Septime Sévère et Caracalla.

n°G26

Dénomination: Denier

Empereur: Géta

Avers: P SEPT GETA - CAES PONT - Buste, tête nue, drapé à droite.

Revers: FELICITAS AVGG - Felicitas debout à gauche, tenant le caducée de la main droite et la corne d'abondance de la gauche.

Atelier (année de frappe): Rome (204)

Références: RSC 36 (30£) - RIC 8 (C) - BMC S218-9 - Hill 685 (C) - BnF 7016

Caractéristiques: Argent, 19mm, 3.38g, 6h. - Ex. HD Rauch Summer Auction 2009 n°978

Note: dans la légende de revers, le doublement des G dans AVGG indique le pluriel Augusti, "des Augustes".

Commentaire:

Felicitas est la personnification du Bonheur et de la Chance. Elle partage son attribut, le caducée, avec Pax, la Paix.  


Le caducée est une baguette autour de laquelle sont entrelacés deux serpents, signes de prudence. On y trouve parfois des ailes, symbole de la rapidité de Mercure, l'Hermès romain, autre divinité qui en a fait son attribut fétiche. En effet, la légende raconte que Mercure en chemin vers l'Arcadie trouva deux serpents qui se battaient. Il les sépara avec une baguette que lui avait donné Apollon et les serpents se mirent à grimper le long du bâton tout en s'appaisant.
Mercure n'apparait que rarement sur le monnayage romain contrairement à Felicitas. On peut néanmoins le voir sur un antoninien de Valérien, par exemple. Mercure étant le dieu du commerce et il porte souvent dans la main une bourse remplie d'argent, Felicitas est donc aussi liée à la prospérité économique. Cela est renforcé sur notre denier de Géta par l'autre attribut que porte Felicitas: la corne d'abondance.


Statue de Mercure (Musée Chiaramonti - Vatican) et représentation de Mercure sur un antoninien de Valérien