mardi 26 octobre 2010

Des Africains à l'allure parthe - Denier de Septime Sévère (Rome, 207)

Contrairement à la monnaie à la Victoire au bige qui est non datée, ce denier au trophée est datée de 207 grâce à la présence au revers de la quinzième puissance tribunicienne. Hill place cette monnaie au sein de la 27ème émission du règne conjoint de Sévère et Caracalla à la fin de l'année 207. Les textes antiques sont assez pauvres sur ces années qui vont de la chute de Plautien jusqu'au début de la campagne britannique en 208. Cependant, les monnaies de cette période sont très riches iconographiquement et comptent parmi les plus spectaculaires du règne. Celle présentée ici est plus classique avec la représentation d'un trophée et de deux captifs à ses pieds.
Même si aucun texte ne parle d'un voyage impérial sur le continent africain en 207, il y a bien une unique inscription de Sicca Veneria en Afrique Proconsulaire, la province natale de l'empereur, et datée de 208 qui fait allusion à des embuscades (insidiae) dressées par des hostes publici, c'est-à-dire des ennemis publics. Cette inscription fait donc plus référence à un complot qu'à des raids de tribus hostiles. Il est donc curieux que l'empereur se soit déplacé lui-même pour mettre fin à cette situation. Pourtant la monnaie présentée ici, comme d'autres, font référence à une intervention et une victoire militaire.


n° S83

Dénomination: Denier

Empereur: Septime Sévère

Avers: SEVERVS - PIVS AVG - Tête laurée à droite.

Revers: P M TR P XV COS III P P - Trophée avec à sa gauche un captif assis à gauche dans l'attitude de la tristesse et à droite un captif debout à droite, les mains liées dans le dos.

Atelier (année de frappe): Rome (207)

Références: RSC 498 (35£) - RIC 214 (S) - BMC 541 - Hill 923 (R4) - BnF 6469-70

Caractéristiques: Argent, 20mm, 3.19g, 6h. - Ex. CGF Monnaies 38 n°666

Commentaire:

On s'accorde donc à dire que le trophée au revers de ce denier commémore la victoire de l'empereur en Afrique sur des tribus révoltées du désert saharien. Les provinces africaines sont en effet vitales pour l'Empire et il est important que les échanges commerciaux avec Rome soient assurés.
Le trophée lui-même a ici une iconographie qui est stéréotypée, on s'imagine en effet mal les tribus africaines portant une cuirasse qui est souvent l'apanage des officiers romains. Les captifs sont eux aussi des stéréotypes, même si ici leur attitude est un peu inhabituelle. Sur les représentations monétaires de trophées avec captifs durant le règne de Septime Sévère, les prisonniers sont généralement tous deux assis les mains attachées dans le dos. L'habillement est celui de parthes ou de daces avec tunique et bonnet "phrygien". On est en présence sur ce denier d'une variante de ce type classique non pas par leur vêtement mais par leur attitude. Le personnage de droite est en effet debout, la jambe gauche fléchie. Il s'agit d'un homme, car barbu et porte une sorte de cape qui lui recouvre l'avant du corps. La barbe est très certainement intentionnelle afin de contraster avec le personnage de gauche. Ses mains sont liées dans le dos.


Détail du revers: personnage à droite du trophée

Le personnage de gauche est au contraire habillé, il est revêtu d'une longue tunique ou robe et est très certainement de sexe féminin. Cette personne est assise sur un casque ou une cuirasse dans l'attitude de la tristesse ou de la mélancolie, le bras droit replié et le poing sur le menton. Il s'agit souvent d'une province qui est représentée ainsi après une défaite.


Détail du revers: personnage à gauche du trophée

On a une représentation similaire sur un sesterce de Domitien où le personnage de gauche est interprété comme la Germanie. On remarquera en passant le traitement du trophée dont l'axe fait référence à l'arbre d'origine.


Sesterce de Domitien à la légende GERMANIA CAPTA (Musée de Xanten)

Doit-on pour autant considérer ce personnage attristé sur le denier de Sévère comme une province? Bien sûr que non! Aucune conquête n'est mentionnée en 207 et l'habillement des captifs montre parfaitement que l'on est en présence d'un motif stéréotypé repris sur des types plus que centenaires. Cependant on ne peut que s'étonner de la publicité faite par le pouvoir à propos de ces opérations de pacification en Afrique.


Détail d'un trophée et de captifs sur le sarcophage de Portonaccio daté des environs de 190 (Museo Nazionale Romano, Palazzo Massimo - Rome)

dimanche 17 octobre 2010

Le 15 avril 202: un mariage romain - Deniers de Caracalla et Plautille (Rome, 202)

En 202, lors des fastueuses festivités célébrant les décennales de Septime Sévère et son triomphe parthique, l'empereur organisa aussi le mariage de son fils Antonin Caracalla avec la fille de son meilleur ami et préfet du Prétoire Plautien. Cette union renforçait (provisoirement...) la puissance de cet homme fortuné. Caracalla venait d'avoir 14 ans, mais on ne connait pas l'âge de la future épouse, Plautille, mais on suppose qu'elle était également très jeune.
Dion Cassius parle de l'événement en ces termes: "On célébra aussi les noces d'Antonin, fils de Sévère, et de Plautilla, fille de Plautianus ; la dot donnée par celui-ci était assez forte pour suffire à cinquante filles de rois. Nous la vîmes porter au palais à travers le Forum. On nous fit également un festin qui tenait à la fois et de la magnificence des rois et de la grossièreté des barbares, festin où on nous donna tout ce qu'on a coutume de servir cuit et cru, et même des animaux vivants." Les deux jeunes mariés sont apparentés, car Septime et Plautien sont cousins du côté de la mère de l'empereur. Malgré les voeux de Concorde heureuse et éternelle inscrits sur les revers de ces monnaies, le mariage des deux jeunes princes sera un échec. 
Les deux deniers présentés ici sont classés par Hill dans deux émissions distinctes: tout d'abord une émission spéciale (la deuxième) consacrée au mariage pour Plautille et la 15ème émission qui la suit immédiatement pour Caracalla. Il existe aussi au sein de cette dernière des monnaies similaires pour Plautille mais avec la légende CONCORDIA FELIX.


n°C45


n°P7

Dénomination: Denier

Empereur et impératrice: Caracalla et Plautille

Avers: ANTONINVS - PIVS AVG - Buste drapé et lauré à droite (C45) ; PLAVTILLAE AVGVSTAE - Buste drapé à droite (portrait Pa) (P7). 

Revers: CONCOR-DIA - FELIX (C45) ; CONCORDIAE AETERNAE (P7) - Plautille debout à droite et donnant la main à Caracalla debout à gauche.

Atelier (année de frappe): Rome (202)

Références: C45: RSC 23 (40£) - RIC 124a (S) - BMC S272-3 - Hill 581 (S2) - BnF 6690-1 ; P7: RSC 10 (45£) - RIC 361 (S) - BMC 401-4- Hill 575A (C) - BnF 6996-8 (+1 exemplaire J&M Delepierre 1966)

Caractéristiques: C45: Argent, 19mm, 2.8g, 7h. - Ex. Creusy ; P7: Argent, 17mm, 3.28g, 6h. - Ex. HD Rauch Sommerauktion 2008 n°753

Note: Sur cette monnaie Plautille porte la coiffure chronologiquement la plus ancienne présente sur ses deniers (portrait Pa). La légende au datif est également la première, elle sera remplacée ensuite par la légende au nominatif en même temps que le passage au portrait Pb.

Commentaire:

A. Daguet-Gagey dans sa biographie sur Septime Sévère donne des informations intéressantes sur le déroulement des noces et rend très vivant le récit de celles-ci. Je me permets de retranscrire ici librement son propos. J'invite tous les passionnés par cette période à lire son ouvrage.
Le mariage, comme la plupart des actions des Romains, s'accompagne de rituels et de sacrifices aux dieux. Caracalla et Plautille se rendent ainsi dans la journée avec leurs familles dans un sanctuaire où des animaux (généralement un porc ou une brebis) sont immolés. Une prise d'auspices a lieu afin que l'union ait l'assentiment des divinités consultées. Plautille a revêtu pour l'occasion la traditionnelle tunique sans ourlets, un manteau safran et des sandales de mêmes teintes. Puis, les promis échangent leurs consentements: Ubi tu Antoninus, ego Plautilla que l'on peut traduire par "là où tu seras Antonin, là je serai, moi Plautille". La foule présente sur les lieux clame alors Feliciter! Feliciter! Le festin se déroule ensuite en présence de tout le gratin aristocratique de Rome dont de nombreux sénateurs, ainsi que d'hôtes illustres dont certains venant de loin comme le roi Abgar VIII d'Edesse. Dion Cassius, dans l'extrait cité en introduction, dénonce les comportements de parvenu de l'empereur avec cette profusion et variété de nourriture qui sont très loin de l'antique vertu romaine faite de frugalité, de retenue, de sobriété. Enfin, à la tombée de la nuit,les mariés se rendent en cortège dans leur demeure privée dans une aile réservée du palais impérial sur le Palatin. A l'entrée de la demeure éclairée par une torche d'aubépines tressées, la jeune mariée franchit le seuil sans toucher le sol, portée par des bras amis.


Vestiges de la Domus Severiana (dont il ne reste principalement que l'ensemble thermal), le palais de l'empereur sur le Palatin, commencé par ses prédecesseurs et agrandi par Septime Sévère.

samedi 9 octobre 2010

Une personnification hybride et une rare titulature sur un denier de Septime Sévère (Emèse, 194)

Cette monnaie, orientale par le style, a été frappée en 194 au début du règne de Septime Sévère. Au revers on trouve la Fortune avec un de ses attributs classiques: la corne d'abondance, mais sans ses autres attributs que sont le gouvernail ou la roue. Elle est coiffée du calathos, cette corbeille s'évasant vers le haut et servant de mesure à grain. Elle tient également dans sa main droite des épis de blés. Même si la légende fait référence à la Fortune, il s'agit plutôt ici d'une représentation de Cérès, la déesse de l'agriculture et des moissons. Mais, peut-être s'agit-il d'un rameau dans la main droite? Dans ce cas, il s'agirait d'un mélange Fortuna-Pax. Cette hybridation des personnifications est typique des ateliers orientaux, on la retrouve aussi chez Pescennius Niger, par exemple.
Malgré ce type de revers intéressant et rare dans le monnayage romain, l'intérêt de ce denier est aussi au droit. Regardons donc de plus près la légende d'avers...


n°S94

Dénomination: Denier

Empereur: Septime Sévère

Avers: IMP CAE L SEP SE-V PERT AVG II C - Tête laurée à droite.

Revers: FORTVNA-E REDVCI - Fortuna assise sur un siège bas à gauche, tenant une corne d'abondance de la main gauche et des épis de la main droite.

Atelier (année de frappe): Emèse (194)

Références: RSC / - RIC / - BMC / - BnF /

Caractéristiques: Argent, 18mm, 3.53g, 12h. - Ex. Guy Braun

Note: Cette monnaie est connue désormais à trois exemplaires (Vienne, coll. maridvnvm, coll. septimus) avec un seul coin de droit et deux coins de revers. Notre monnaie est de même coin d'avers et de revers que l'exemplaire de la collection maridvnvm. Je remercie Curtis C. Clay pour les informations fournies sur cet intéressant denier oriental.

Commentaire:

On observe en effet une titulature très inhabituelle au droit (IMP CAE L SEP SEV PERT AVG II C) et qui fait penser à la légende abondamment utilisée par Septime Sévère à Emèse : IMP CAE L SEP SEV PERT AVG COS II. Outre le fait que le G de AVG ressemble à un C, ce qui est classique sur les inscriptions orientales, on remarque immédiatement l'inversion du C, abréviation de COS pour CO(N)S(VL), et du nombre II. On trouve aussi des variantes en II COS ou II CO. Cette légende se place certainement à une période où l'atelier n'a pas encore bien fixé sa légende de droit entre COS I et COS II (les frappes seront beaucoup plus massives pour cette dernière titulature). A l'heure actuelle, seuls trois coins sont référencés pour cette légende d'avers. Par contre, les revers combinés sont nombreux, une petite vingtaine, mais tous connus à moins de trois exemplaires. On y trouve Cérès, Fortuna, Bonus Eventus, etc. La monnaie référencée qui se rapproche le plus de notre exemplaire est la monnaie BMC W364, mais cette dernière présente la légende FORTVNAE RE REDVC au revers.