samedi 19 novembre 2011

Un projet de mariage sournois - Vénus sur un denier de Caracalla (Rome, 216)

Deux antoniniens du même type ont déjà été présentés, mais ici c'est un denier issu de la même émission. Selon la théorie des cycles, au sein d'une même émission les différents métaux (et donc dénominations) étaient monnayés les uns après les autres, un type monétaire étant attaché à une des six officines (c'est le nombre pour la période qui nous intéresse) de l'atelier de Rome. Selon Hill, durant la 9ème émission, ce type avec Vénus est d'abord émis en or avec le double aureus, puis l'aureus, ensuite vient l'argent avec l'antoninien, puis notre denier, enfin les aes avec le sesterce, puis le dupondius et finalement l'as. Il n'y a plus ni semis, ni quadrans à cette période. Ce type précis n'existe que pour Caracalla.


n° C98

Dénomination: Denier

Empereur: Caracalla

Avers: ANTONINIVS PIVS AVG GERM - Tête laurée à droite.

Revers: VENVS VICTRIX - Vénus debout à moitié à gauche, tenant une Victoriola de la main droite et un sceptre transversal de la gauche, son bras gauche reposant sur un bouclier posé sur un casque.

Atelier (année de frappe): Rome (216)

Références: RSC 606 (25£) - RIC 311b (C) - BMC 82-5 - Hill 1534 (C) - BnF X.L. 1984/389

Caractéristiques: Argent, 19mm, 2.91g, 6h. - Ex. Hugon Numismatique.

Note: Cette monnaie provient d'un trésor tunisien trouvé par une compagnie de chemin de fer dans les années 1930.

Commentaire:

Après la campagne germanique du début de son règne seul et son séjour à Alexandrie en 215, Caracalla entreprend une guerre contre les Parthes. Le type de Vénus, victorieuse ici, est extrêmement rare pour un empereur et est généralement réservé aux impératrices. De rares exemples existent cependant pour des hommes (Auguste, Titus, Hadrien ou Gordien III). On remarque que dans notre cas la déesse de l'Amour revêt des attributs guerriers. Caracalla envisageait tout d'abord unir son Empire à celui des Parthes par l'intermédiaire d'une union avec la fille du Roi des rois. Mais cette offensive diplomatique va rapidement se transformer en conflit armé. Certains textes antiques évoquent ce mariage dans leurs écrits et décrivent une noce où l'empereur romain, modèle de perfidie, massacre les invités parthes.
Ainsi, Dion Cassius (LXXVIII, 1): "Menant après cela, son armée contre les Parthes, sous prétexte qu'Artabanos ne voulait pas lui donner sa fille, dont il avait demandé la main (Artabanos, en effet, savait bien que l'intention de l'empereur était, en apparence, d'épouser sa fille, mais, en réalité, de s'emparer du royaume des Parthes), Antonin dévasta une grande partie de la contrée qui entoure la Médie..." 
C'est Hérodien dans son livre IV de son Histoire romaine (chapitres XVIII, XIX et XX) qui est le plus prolixe à ce sujet: "Peu de temps après, il imagina de se faire donner le surnom de Parthique : il désirait vivement pouvoir écrire à Rome qu'il avait dompté les Barbares de l'Orient. Il était en pleine paix avec les Parthes; il eut recours à son arme ordinaire, la perfidie. Il écrivit à Artaban, leur roi, et lui adressa une députation chargée de présents aussi précieux pour la richesse de la matière, que pour la perfection du travail. Il lui demandait dans sa lettre la main de sa fille : « Empereur, fils d'empereur, il devait à sa gloire de ne point devenir le gendre de quelque obscur citoyen, mais de s'unir à la fille d'un roi puissant. Grâce à cette alliance, il n'y aurait plus d'Euphrate; les deux plus grands empires du monde, l'empire romain et celui des Parthes, réunis par un lien commun, formeraient une puissance invincible, et les autres nations barbares, encore indépendantes, se soumettraient facilement, si on leur laissait leurs mœurs et leurs lois. Les Romains avaient une infanterie habituée à combattre de près, et sans égale pour le maniement de la lance ; les Parthes, une cavalerie nombreuse, composée d'excellents archers. Forts de tous ces avantages, et possédant ainsi tous les éléments de la victoire, ils subjugueraient sans peine sous un seul sceptre l'univers entier. » Il ajoutait que les productions des Parthes, leurs parfums, leurs précieuses étoffes, les métaux des Romains, et tous les chefs-d'œuvre de leur industrie, ne seraient plus des raretés d'un trafic clandestin, mais que ces richesses, répandues sur une même terre, dans un même empire, viendraient en liberté s'offrir aux besoins des deux nations. Artaban rejeta d'abord ces propositions : « Une femme étrangère, disait-il, ne pouvait convenir à un Romain. Quelle harmonie règnerait entre deux époux différents de langage, de mœurs, d'habitudes? Il y avait d'ailleurs à Rome vingt familles patriciennes où l'empereur pouvait se choisir un beau-père, comme Artaban un gendre parmi les Arsacides. Pourquoi alors se mésallier? » Telle fut la première réponse du Parthe : les offres de Caracalla étaient donc repoussées. Cependant ses instances, des présents, des serments d'amitié, les protestations de son vif désir d'un tel mariage, triomphèrent de la sage défiance du roi barbare. Il lui promet sa fille, il l'appelle déjà son gendre. A la nouvelle de cette alliance, les Parthes se préparent avec empressement à recevoir l'empereur, et embrassent avec joie l'espérance d'une paix éternelle. Cependant, après avoir passé le Tigre et l'Euphrate sans aucun obstacle, Antonin traverse le pays des Parthes, comme il eût traversé ses propres États. A son passage on couvrait les autels du sang des victimes et de fleurs ; on lui offrait de toutes parts les parfums les plus précieux. Il recevait tous ces hommages avec une feinte reconnaissance. Lorsqu’après un long trajet, il approcha enfin de la capitale, le roi vint à sa rencontre dans une plaine hors de la ville, pour recevoir l'époux futur de sa fille. Il était accompagné d'une multitude de Parthes qui, couronnés de fleurs du pays, revêtus d'habits brillants d'or et de l'éclat de mille couleurs, se livraient à la joie la plus vive, et dansaient au son de la flûte et des cymbales. Les Parthes aiment avec passion la danse et la musique, quand le vin a échauffé leur esprit. Lorsque les Barbares eurent inondé la plaine, ils abandonnèrent leurs chevaux, déposèrent leurs arcs et leurs javelots, firent des libations, et se livrèrent aux plaisirs de l'ivresse. Réunis par groupes dans l'imprudente sécurité d'un joyeux désordre, ils se pressent pour voir le nouvel époux : aussitôt Antonin donne le signal et toute son armée se précipite sur cette foule d'hommes désarmés. Épouvantés de cette attaque imprévue, ils reçoivent, en fuyant, les coups du fer ennemi; le roi lui-même, enlevé par ses gardes et jeté sur un cheval, s'échappe à peine avec une faible escorte. Les Parthes privés de leurs chevaux, sans lesquels ils ne peuvent combattre et qui paissaient dans la plaine, tombaient par milliers; la longueur de leur robe flottante les embarrassait dans leur fuite et entravait l'agilité de leur course. Ils n'avaient avec eux ni leurs flèches ni leurs arcs. Devaient-ils garder ces armes pour une fête ? Après avoir fait un affreux massacre, Antonin s'éloigna, emportant, sans trouver de résistance, un riche butin et un grand nombre de prisonniers; il permit à ses soldats d'incendier sur leur passage les bourgs et les villes, les laissant maîtres de tout enlever et de tout piller."
Ces évènements sont le début de conflits armés récurrents entre Romains et Parthes (puis Perses) et mettent fin à une paix qui durait depuis la campagne orientale de Septime Sévère en 198. Ils se solderont par plusieurs défaites romaines, l'empereur Valérien étant même fait prisonnier en 259 et mourra en captivité en Perse.

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